top of page
  • icône phone
  • icône mail blue
  • icône facebook
  • icône linkedin
  • icône googe+
journaling

BLOG

Posts à là une

Pas d'ordinateur ni de tablette pour les moins de 6 ans

Le chercheur Boris Cyrulnik s’est vu confier par le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, la préparation des Assises de la maternelle qui s’ouvrent cette semaine.

Après avoir dédoublé les classes de CP dans les établissements défavorisés, mis en place Devoirs faits au collège et lancé la réforme du bac, le ministère de l’Education organise, mardi et mercredi, les Assises de la maternelle. Objectif : faire de celle-ci "l’école de l’épanouissement et du langage". Pendant deux jours, scientifiques, enseignants, personnel de service et parents sont invités à réfléchir sur l'acquisition du langage, la mémoire chez l’enfant, le sommeil, la formation des enseignants, les pratiques musicales... Le neuro-psychiatre Boris Cyrulnik, chargé de diriger la réflexion, nous décrypte les enjeux. "La maternelle avait – et a toujours – une excellente réputation, mais elle doit s’adapter", dit-il. "Les enfants qui entrent à l’école ne sont plus les mêmes qu’il y a dix ou quinze ans."

Lire aussi : Comment Jean-Michel Blanquer a imposé sa méthode

Pourquoi organiser ces Assises? La maternelle avait – et a toujours – une excellente réputation, mais elle doit s'adapter. Les enfants qui entrent à l'école ne sont plus les mêmes qu'il y a dix ou quinze ans. Leurs déterminants biologiques ont changé : les filles, par exemple, sont plus grandes, plus mûres et une proportion croissante est réglée avant 10 ans. L'organisation des familles a aussi connu des bouleversements : désormais, plus de 70% des femmes travaillent. Les petits ne sont plus du tout entourés de la même façon. L'école maternelle doit accueillir différemment ces nouveaux élèves.

Qu'est-ce qui se joue en maternelle? J'ai beaucoup travaillé sur les interactions précoces, de la 27e semaine de grossesse au 20e mois, qui influencent fortement le développement biologique et neuropsychologique des enfants. Le premier jour de maternelle, un tiers des élèves, à la suite d'un malheur – deuil, précarité sociale, violences conjugales… – ou simplement d'une évolution plus lente, ont un attachement insécure, qui va les inhiber. Si l'on n'intervient pas, ils développeront des troubles cognitifs et iront grossir le bataillon des mauvais élèves. L'enjeu, c'est donc d'introduire de l'affect pour les aider à entrer dans les apprentissages. Des études ont démontré que 90% des enfants maltraités étaient mauvais en classe, mais que la plupart rattrapaient leur retard en quelques mois s'ils étaient sécurisés. La plasticité du cerveau est remarquable. L'école peut donc "réparer", redonner le plaisir de faire l'effort d'apprendre. La maternelle doit être un facteur de résilience, un outil pour lutter contre les inégalités sociales.

Il faut former les profs, mais aussi les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) et les familles aux théories de l'attachement

Pour Jean-Michel Blanquer, la maternelle doit aussi être un "bain de langage". Voyez-vous des pratiques à encourager? Les arts, le jeu, la créativité sont de bons stimulants. Les travaux du neurologue Pierre Lemarquis montrent, par exemple, que les enfants qui apprennent la musique maîtrisent mieux leurs émotions, accèdent les premiers à la parole, se sociabilisent et progressent plus vite. Les contes mimés, le théâtre, les puzzles peuvent aussi conduire les élèves à réaliser de vraies performances intellectuelles. Mais cela ne doit pas se transformer en sprint

C'est-à-dire? Je rentre du Japon et de Chine. Les pays orientaux organisent un sprint scolaire dès la maternelle. Un peu comme si vous jetiez mille enfants à l'eau : quatre ou cinq surdoués vont apprendre à nager tous seuls, les autres vont boire la tasse. L'école devient alors une forme de maltraitance. Les pays d'Europe du Nord ont fait le choix inverse : ils sécurisent les élèves, notent très tard – vers 10-11 ans –, et caracolent en tête des classements internationaux Pisa. Les enfants ont des rythmes de développement étonnamment différents. Evitons de les étiqueter.

Mais les programmes de maternelle, adoptés en 2015, font déjà la part belle au langage, au jeu… Certes, mais les professeurs des écoles se méfient des affects. Ils ont un très bon niveau universitaire, mais pas les connaissances pratiques. Beaucoup débutent sans jamais avoir tenu un bébé dans les bras. La formation sera donc un thème central des Assises. Il faut former les profs, mais aussi les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (Atsem) et les familles aux théories de l'attachement. Il faut leur expliquer comment parler et interagir avec de jeunes enfants, comment leur donner confiance en eux… Les pays d'Europe du Nord, l'Allemagne ou le Québec, l'enseignent déjà. En France, cela commence timidement, dans certaines universités et à l'Institut Petite Enfance (IPE).

A 3 ou 4 ans, l'école maternelle est bénéfique pour tout le monde

Les maternelles françaises comptent un encadrant pour 23 enfants, contre 14 en moyenne dans l'OCDE, n'est-ce pas un frein pour toute réforme? Avec de tels effectifs, il est vrai que c'est compliqué. J'espère que le ministre de l'Education décidera d'augmenter les postes. L'idéal serait de dédoubler les classes de maternelle. Réformer l'accueil de la petite enfance implique forcément des dépenses, mais les pays qui l'ont fait ont constaté un excellent "retour sur investissement". Voyez les résultats de la Norvège : 1% d'illettrés, contre 10% en France, une forte diminution des psychopathies et 40% de suicides en moins chez les adolescents.

Certains soupçonnent le gouvernement de vouloir résoudre le problème en comptabilisant le personnel de service parmi les encadrants… Les Atsem jouent un rôle très important, mais insuffisamment reconnu : celui de trait d'union entre les familles, les enfants et les professeurs des écoles. Ce sont souvent les premiers à remarquer quand quelque chose ne va pas. Nous proposerons une réforme du CAP petite enfance pour intégrer les théories de l'attachement. Mieux formés, les Atsem prendront alors toute leur part dans l'accueil en maternelle.

Des syndicats d'enseignants craignent que la scolarisation des moins de 3 ans soit abandonnée… Que pensez-vous de cette mesure? Je ne sais pas répondre. L'école à 2 ans peut avoir du bon. Certains enfants délaissés se sentent mieux à l'école que chez eux. D'autres, au contraire, vont développer des phobies scolaires. C'est difficile de trancher. A 3 ou 4 ans, en revanche, l'école maternelle est bénéfique pour tout le monde.

France Stratégie, un laboratoire d'idées rattaché à Matignon, conseille d'évoluer vers un système d'accueil intégré pour les enfants de 1 à 6 ans… Les Allemands ont créé des Kindergarten, des jardins d'enfants qui intègrent la crèche et la maternelle, et donnent de bons résultats. Quand j'évoque les congés parentaux, les métiers de la petite enfance ou les théories de l'attachement, cela concerne aussi les petits de 1 à 6 ans.

Si les enfants ont l'air sages face à un écran, c'est parce qu'ils sont médusés, hypnotisés

Doit-on enseigner une deuxième langue en maternelle? Clairement, oui. L'apprentissage d'une deuxième langue est un précieux facteur de résilience pour les enfants. La linguiste Ranka Bijeljac-Babic en parlera durant les Assises : dans une population d'enfants immigrés, ceux qui parlent deux langues vont s'intégrer et rejoindre le groupe des futurs bons élèves.

Faut-il interdire les écrans? Nous le dirons à nouveau : pas d'ordinateur ni de tablette jusqu'à 6 ans. Si les enfants ont l'air sages face à un écran, c'est parce qu'ils sont médusés, hypnotisés. Mais cette fascination implique une perte des relations. Non seulement ils n'apprennent rien, mais cela entraîne une altération de l'empathie et des troubles du développement.

Vous-même n'êtes jamais allé en maternelle… J'y suis allé très peu. Mais c'est là que j'ai rencontré l'institutrice Marguerite Farges, à qui mon père et ma mère, tous deux juifs, ont demandé de s'occuper de moi avant d'être déportés, en 1942. Elle est venue me chercher à l'Assistance et m'a accueilli chez elle, où j'ai finalement été arrêté. Je me suis évadé, puis j'ai été caché dans différentes institutions, des écoles notamment, mais je ne pouvais pas suivre les cours. A la Libération, je ne savais ni lire ni écrire. Là encore, une enseignante m'a aidé, et j'ai rattrapé mon retard en quelques mois. Plus tard, quand j'ai passé le bac, c'est M. Mouzel, mon prof de français-latin, qui a pris son chapeau, mis de l'argent dedans et fait une collecte pour payer mes frais d'inscription. Les professeurs sont de formidables tuteurs de résilience. Mme Farges a d'ailleurs reçu la médaille des Justes. Elle serait très heureuse de m'entendre aujourd'hui défendre les maternelles!

Posts Récents
Tous les posts
Archives
Rechercher par Tags
bottom of page